LES MULTIPLES D’EBITDA : LA SIMPLICITÉ DE LA MÉTHODE NUIT-ELLE À SA PERTINENCE ?

Je vous prie de trouver ci-joint ma contribution au rapport annuel de Wallonie Entreprendre Cession & Acquisition (pages 19 et 20).

Fixer la valeur d’un fonds de commerce ou d’une société ne peut se faire de manière mécanique en appliquant des formules mathématiques. Cela nécessite la collecte, l’analyse et l’interprétation des données, tant quantitatives que qualitatives, relatives à l’entreprise.

L’évaluation d’une entreprise dépend, d’une part, de sa valeur intrinsèque (valeur substantielle), celle-ci dépend, entre autres, des plus-values latentes et des passifs occultes. D’autre part, l’évaluation dépend des résultats constatés et des résultats futurs espérés (valeur de rendement). Dans la majorité des cas, la valeur d’une entreprise dépend également de ce qu’elle pourra rapporter à l’avenir. Cette évaluation est par essence soumise à une appréciation subjective et individuelle.

L’EBITDA (acronyme de Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization) mesure la création de richesse avant toute charge calculée. Cette méthode simple est fortement utilisée et ne tient pas compte de la valeur intrinsèque ou encore de l’évolution du marché. Beaucoup d’évaluateurs diminuent le montant obtenu de la dette nette. La dette nette est déterminée par la différence entre la dette portant intérêt et la position de la trésorerie. Autant dire que pour les sociétés en difficulté, la trésorerie étant souvent inexistante, la dette nette vient diminuer fortement la valorisation, ce qui peut être trompeur par exemple au vu de la notoriété ou d’autres facteurs au sein de la société tels que par exemple les perspectives futures.

La simplicité de la méthode (Multiple EBITDA) en fait son succès. Mais quel multiple d’EBITDA choisir ? Il existe bien évidemment un nombre important de tables reprises au sein de la littérature économique mais elles doivent être utilisées avec parcimonie.

Les méthodes basées sur les multiples consistent à dériver la valeur sur base de l’observation ici de l’EBITDA moyen ou médian de sociétés du même secteur, alors que deux entreprises du même secteur sont rarement identiques.

On comprend alors que ce modèle a ses limites et pose des interrogations :

Premièrement, on notera la disponibilité limitée des paramètres de marché, compte tenu de la difficulté d’identifier les entreprises comparables à l’entreprise évaluée. Qui constate ? Qui est l’auteur de l’analyse et de la valorisation ? Vendeur ? Acheteur ? Intermédiaire ?… Sur combien de transactions l’analyse se fait-elle ? Sur quel marché ? Sur quel regroupement sectoriel ? Avec quelle analyse du prix payé (notamment des garanties, des earn-out, des opérations parallèles, …), Quelles sociétés sont reprises ? Si on compare les analyses d’auteurs, on constate des différences importantes par exemple en fonction de la taille de l’entreprise ou de sa cotation éventuelle en bourse qui entraineront toujours un ajustement, de leur localisation, …

De plus, même lorsque des comparables sont disponibles, la présence de pertes ou de résultats légèrement positifs (même au niveau de l’EBITDA) nécessite l’utilisation de résultats bruts (marge, chiffre d’affaires), moins fiables pour refléter les résultats potentiels de l’entreprise dont dépend la valeur.

Cet ajustement peut également être effectué pour une multitude d’autres raisons tels que l’impact de la croissance anticipée et/ou les écueils futurs, les cycles de vie des produits des entreprises comparées, le caractère intuitu personae de la direction, l’impact de l’inflation et de la hausse des intérêts, …

Les multiples sont aussi rarement applicables aux sociétés qui ont des activités futures particulières ou complexes ou en restructuration soit parce qu’elles ne génèrent ni chiffre d’affaires ni rentabilité, soit parce que les chiffres passés ne sont pas stabilisés.

A la différence des entreprises industrielles dont la valeur repose principalement sur la rentabilité attendue des actifs existants (bâtiments, lignes de production, …), les entreprises high tec ont peu d’immobilisations corporelles à leur bilan si bien que leur valeur provient essentiellement de leur connaissance (brevets, logiciels, savoir-faire, …) mais surtout des opportunités de développement de chiffre d’affaires. De ce fait, toute valorisation sur base du multiple de l’EBITDA effectuée est volatile puisque le potentiel des marchés visés est difficile à estimer tout comme la rentabilité estimée. Recourir aux données du passé ne donne aucun enseignement dans ce genre d’entreprise.

Le principal défi de l’évaluateur est d’appréhender le chiffre d’affaires et les évolutions à prendre en compte pour déterminer les flux de trésorerie. Pour ce faire, il doit obtenir plusieurs scénarios probables et s’assurer de la probabilité de réalisation de ces scénarios.

En conclusion, il n’y a donc aucune certitude dans les exercices de valorisation des entreprises basés sur un multiple d’EBITDA même s’ils peuvent donner un enseignement intéressant qui doit être pris avec un certain scepticisme. Le jugement du professionnel est la clé de voûte de la valorisation. Si l’évaluateur utilise cette méthode, il devra alors décrire les éléments qui permettent de rendre l’évaluation pertinente.

Christophe Remon        
Réviseur d’Entreprises